STORA centre créé en 1848 avec les infrastructures françaises dans le département de Constantine arrondissement de Philippeville (Algérie). Les premiers temps de l’occupation française ne changèrent guère ces pratiques ancestrales : les pêcheurs italiens pratiquant comme avant une pêche saisonnière qu’ils dirigeaient ensuite sur les marchés de l’Europe du Sud. -Extrait (partiel) du livre : Stora de Bernard Sasso.
Et aussi :
En 1893, à Aigues-Mortes, les saisonniers travaillant aux Salins – il s’agissait à l’époque d’ Italiens – avaient été victimes d’un véritable pogrom. Le 17 août 1893, dans les marais salants d’ Aigues-Mortes où la récolte du sel rassemblait des centaines de travailleurs français et italiens, s’est déroulé une émeute opposant « trimards » français et ouvriers immigrés italiens. Au moins 8 italiens ont été tués et des dizaines d’autres blessés. En dépit des preuves accablantes réunies contre les saisonniers autochtones, les assassins furent tous acquittés.
le 17 août 1893 sur un véritable pogrom.
Tout commence entre le Ve et le Xe siècles de notre ère – entre Clovis et Hugues Capet – quand émergent la France et les autres nations d’Europe occidentale sur les ruines de l’empire romain. À partir de l’An Mil, l’Europe occidentale n’a plus connu d’invasions extérieures. Les nomades turcs et mongols en particulier se sont arrêtés à sa périphérie.
De la sorte, dans chaque seigneurie ou village, les habitants ont pu enraciner leurs coutumes dans la durée jusqu’à leur donner force de loi. En deux ou trois siècles a émergé un concept nouveau, l’État de droit, devant lequel s’inclinent les puissants comme les humbles. Ce fut la clé du progrès. Cet État de droit a été consolidé en France et en Angleterre par une monarchie forte et centralisatrice qui a donné naissance aux deux premiers États-nations de l’Histoire.
Le grand brassage médiéval
À partir de l’An Mil, l’Europe occidentale n’a donc connu aucune immigration significative. Il n’empêche que le Moyen-Âge a produit un immense brassage des hommes, des marchandises et des idées d’où est issue la civilisation européenne.
Les déplacements pacifiques des pèlerins, marchands et colporteurs, compagnons et apprentis, clercs, moines et étudiants contribuent de façon plus importante au lent brassage des populations dans un espace sans véritables frontières.
Par petits groupes, les pèlerins arpentent les chemins dès avant l’An Mil et chaque départ se fait sans garantie de retour. La richesse des grands sanctuaires témoigne de la ferveur populaire en ce Moyen Âge dominé par la foi : Saint-Martin de Tours, le mont Saint-Michel, Notre-Dame du Puy, Sainte-Foy de Conques etc.
L’élite des clercs se signale par une mobilité qui n’a rien à envier à nos étudiants Erasmus, à l’image de Saint Thomas d’Aquin. Né près de Naples en 1225, il étudie ou enseigne à Milan, Cologne, Paris, Toulouse… avant de mourir d’épuisement sur le chemin de Lyon. Il en va tout autant des marchands et colporteurs qui se déplacent de foire en foire, ainsi que des compagnons et apprentis qui vont de ville en ville, de chantier en chantier, s’instruire et proposer leurs compétences.
L’État monarchique
Les historiens voient dans le règne de Louis XI (1461-1483) le moment où la France bascule du Moyen Âge à la Renaissance. À l’image d’Érasme, érudits et artistes continuent d’arpenter l’Europe dans tous les sens en quête de mécènes et de protecteurs. Leur langue commune reste le latin, langue vivante s’il en est. Mais les grands pèlerinages s’essoufflent et les ordres religieux ne tissent plus leur toile à travers l’Europe. C’en est fini du grand brassage médiéval.
Les États nationaux prennent forme avec des frontières mieux dessinées, une langue officielle et une religiosité propre à chacun. L’Allemagne du Nord se voue à Luther, Genève et les Pays-Bas à Calvin etc.
Les souverains demeurent fidèles toutefois aux alliances matrimoniales de sorte qu’il n’y a pas de familles plus « européennes » que les familles royales. Henri IV épouse une Italienne, Marie de Médicis, qui va régenter le pays à sa mort. Son fils et successeur Louis XIII épouse une Espagnole, Anne d’Autriche, qui, elle aussi, dirigera le pays à sa mort. Louis XIV épouse sa cousine franco-espagnole Marie-Thérèse d’Espagne, Louis XV, la Polonaise Marie Leszczynska. Quant à Louis XVI, né de Marie-Josèphe de Saxe, il épouse Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine.
Dans un esprit pratique, les souverains recourent aussi de façon systématique au recrutement de mercenaires étrangers, à commencer par François 1er, qui conclut un accord avec les Suisses après que ceux-ci eussent été réduits au chômage par leur défaite à Marignan.
Louis XIV gonfle ses effectifs militaires avec un quart d’étrangers, Allemands, Suisses… et également Irlandais. Une dizaine de milliers de ceux-ci se sont mis au service du roi de France après leur défaite face aux Anglais, à la Boyne, en 1691. L’un de leurs descendants, Patrice de Mac Mahon, servira Napoléon III avec le titre de maréchal de France avant de devenir président de la République.
Louis XV doit quant à lui sa plus belle victoire, Fontenoy (1745), à un condottiere, fils bâtard d’un prince allemand, le maréchal Maurice de Saxe. L’une de ses descendantes est la romancière George Sand.
Aux XVIe et XVIIe siècles, ce sont les conflits armés qui nourrissent les mouvements de population intra-européens. Mais ces derniers sont en tout état de cause très limités.
La persécution des juifs dans la péninsule ibérique provoque la fuite de quelques milliers d’entre eux au-delà des Pyrénées. Spinoza, à Amsterdam, descend de ces réfugiés, de même que Montaigne, dont la mère, Antoinette Loupes de Villeneuve, était la petite-fille d’un certain Lopès dy Villenueva. Plus près de nous,Pierre Mendès France est aussi issu d’un marrane (juif converti).
Au XVIIe siècle, au cœur même du continent, dans le monde germanique, la guerre de Trente Ans entraîne des désordres de grande ampleur. Des provinces comme l’Alsace, la Lorraine ou la France-Comté sont largement dépeuplées et réoccupées par quelques dizaines de milliers d’immigrants venus de Suisse ou d’Allemagne.
Louis XIV, avec la révocation de l’édit de Nantes, en 1685, provoque la fuite précipitée d’environ 300.000 de ses sujets protestants (1 à 2% de la population). Ils vont enrichir de leur travail les pays rivaux de la France.
Il n’empêche que les monarques se montrent par ailleurs accueillants aux étrangers de qualité. Richelieu et Anne d’Autriche ne craignent pas de confier les rennes du gouvernement à un diplomate italien, Mazarin. Plus tard, le Régent charge un financier écossais, John Law, de redresser ses finances et Louis XVI fait appel pour cela à un banquier genevois, Jacques Necker.
Les artistes, poètes et comédiens italiens ont les honneurs de la cour, de Léonard de Vinci, accueilli par François 1er, à Jean-Baptiste Lully, musicien favori de Louis XIV. Les savants, philosophes, hommes de lettres, mathématiciens et astronomes voyagent et correspondent entre eux à travers toute l’Europe en ce XVIIe siècle qui est aussi le Siècle d’Or des sciences comme au siècle suivant.
Ces bonnes manières se prolongent jusque dans les premières années de la Révolution.
Mais le plus important est ailleurs, dans l’afflux d’étrangers entreprenants. Dès la fin du XVe siècle, les rois ont appelé des soyeux italiens pour développer à Tours et Lyon une industrie nationale de la soie. Plus tard, ils ont fait appel à des Hollandais pour relancer la construction navale ou assécher les marais…
Au Siècle des Lumières, dans une France en pleine croissance économique et démographique, Christophe-Philippe Oberkampf, un teinturier originaire de Stuttgart, crée une manufacture au sud de Paris, à Jouy-en-Josas, en 1760. Au Creusot, en 1782, un Anglais, William Wilkinson, monte une fonderie de canons avec Ignace de Wendel, maître de forges originaire de Lorraine.
La Grande Nation
La Révolution française, à ses débuts, s’inscrit dans la continuité de l’Ancien Régime. Elle émancipe les juifs. Ces derniers, 30.000 au total (à peine un millième de la population française), divisés en communautés très diverses, sont priés de devenir des citoyens comme les autres.
Elle dissipe aussi le flou artistique des siècles antérieurs. Désormais, une frontière n’est plus une zone où s’imbriquent des droits et des coutumes de diverses origines, comme c’était encore le cas en Alsace, mais une ligne nette et bien dessinée. D’un côté, on est français à 100%, de l’autre étranger. Mais tout dérape quand les députés se mêlent des affaires religieuses, heurtant les convictions du roi et des humbles, jusqu’à susciter contre eux une coalition des monarchies européennes.
Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, de 1792 à 1815, ont pour effet d’éveiller les nationalismes en France et dans toute l’Europe. À la fidélité à la personne du roi se substitue la fidélité obligatoire à une entité supérieure, abstraite et immortelle, la Nation, qui se confond avec la patrie de naissance !
Sous la Restauration, après la chute de Napoléon, de grands esprits comme Guizot, Thiers, Michelet… inventent l’Histoire nationale, laquelle se substitue aux chroniques royales et aux grandes fresques universelles. Le roi Louis-Philippe 1er inaugure à Versailles un musée de l’Histoire de France.
On se retrouve entre soi mais le sentiment d’appartenance à une même civilisation européenne ne faiblit pas pour autant dans les élites. Si l’Allemagne et l’Italie n’ont plus beaucoup la cote, il n’en va pas de même de l’Angleterre dont les succès suscitent l’admiration universelle. Lamartine, Vigny, Tocqueville épousent une Anglaise !
L’appel de l’industrie
En 1851, lors d’un premier recensement, on dénombre en France 380.000 étrangers, soit à peine plus d’un pour cent de la population nationale. Encore s’agit-il pour l’essentiel de Belges, Suisses ou Allemands venus en voisin travailler dans les industries frontalières. C’est alors que la France, sous le Second Empire, s’engage à marches forcées dans l’industrialisation.
Mais cette France-là a été frappée avant tous les autres pays européens par la baisse de la natalité. Sa population, en un demi-siècle, a augmenté de moins d’un quart (de 29 à 36 millions d’habitants) tandis que celle du Royaume-Uni a doublé, de 12 à 23 millions d’habitants.
Ne trouvant pas assez de main-d’oeuvre dans les villes, les industriels vont la chercher dans les villages, qui voient pour la première fois leur population diminuer : c’est le début de l’exode rural. Ils font aussi appel à une immigration de masse. C’est une première depuis… Rollon et ses Normands, près de mille ans plus tôt.
Cette immigration est sciemment organisée par les grandes firmes, désireuses de main-d’œuvre malléable et peu coûteuse. C’est ainsi que les Houillères du Nord envoient des agents recruteurs dans le Borinage (la région de Mons, en Belgique) dès les années 1860.
Les étrangers enregistrés atteignent le nombre de 800.000 en 1876, soit deux fois plus nombreux qu’en 1851. Ils dépassent le million cinq ans plus tard et vont se tenir à ce seuil jusqu’à la fin de la Grande Guerre (près de 3% de la population totale).
Ils viennent des pays proches. Il s’agit pour un tiers de Belges du Borinage venus s’employer dans les mines de charbon. En second lieu, on rencontre des Italiens et leur nombre ne tarde pas à dépasser celui de toutes les autres nationalités. La Suisse est aussi un pays d’émigration important. Tout comme l’Espagne, dont on rencontre en France cent mille ressortissants en 1911. Il s’agit essentiellement de gens proches de la frontière : Basques, Navarrais, Catalans.
Une petite partie seulement des migrants font souche dans le pays. Sur 1,8 million d’Italiens qui arrivent en France, c’est le cas de seulement 420.000 d’entre eux, les autres choisissant soit de rentrer chez eux, soit de partir vers d’autres cieux. Il est vrai qu’ils doivent travailler dur pour se faire une place au soleil, sans aide d’aucune sorte.
Et il arrive qu’ils entrent en conflit avec des nationaux. En dépit de cela, ces premières vagues migratoires sont assez bien acceptées sous la IIIe République.
À l’époque de l’affaire Dreyfus, les outrances xénophobes sont dirigées contre les juifs réputés « cosmopolites » plutôt que contre ces migrants en voie d’assimilation. Et notons-le, plusieurs sommités ont des noms à consonance italienne qui trahissent un aïeul d’origine transalpine : Léon Gambetta, Émile Zola, Joseph Gallieni, Savorgnan de Brazza… La saignée de la Grande Guerre va bousculer cette tranquille cohabitation.
Publié ou mis à jour le : 2015-09-05 12:38:25
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